AAC AoMO 2024

AoMO 2024 - The Art of Management & Organization

Nancy, France (21st-24th August 2024)

Pour une Recherche-Création Curatoriale. Contre les anomalies insoutenables des organisations contemporaines.

Philippe Mairesse, Jean-Luc Moriceau, Pierre-Antoine Chardel, Isabela Paes, Pierre Guillet de Monthoux

Appel à des actions et propositions théoriques et pratiques - Les propositions sont attendues pour le 2 décembre 2023 

 

De nos jours, si un nouvel art total était envisageable, à l’instar des pionniers de la fin du 19ème siècle6 il se devrait d’inclure de multiples autres disciplines, qui unissent leurs forces pour agir contre l'in-soutenable, cet insupportable contemporain qui tire nos sociétés vers le gouffre (Citton, 2012 ; Moriceau et al., 2023). Dans cette perspective, notre groupe de travail se concentre sur la recherchecréation, une tendance récente de l'enseignement, de l’art et de la recherche, qui veut intégrer les arts et les sciences, y compris les sciences sociales, dans une égale (il-)légitimité, pour favoriser une connaissance, une recherche et une pratique holistiques.

Notre objectif est de conceptualiser, expérimenter et disséminer autour de la question : Comment la recherche-création pourrait-elle agir comme un pharmakon, un poison-remède, face aux insupportables d’une recherche et d’un enseignement inaptes à critiquer ou combattre l’insoutenable, et qui forme les décideurs de demain.

Les impasses autour des questions de durabilité résultent en partie de ce que l'heuristique positive de nos sciences, technologies et théories sociales s'effondre peu à peu, et perd toute efficacité. On ne peut que constater la faiblesse de la pensée à comprendre, à s'adapter et à résoudre les défis de notre époque dus aux excès d’un développement humain conçu au détriment de la planète. Pire, la tentative obstinée de maintenir cette heuristique positive infructueuse face à un nombre croissant d'anomalies entretient et crée l’insoutenable.

Face à cette situation, nous revendiquons une recherche-création ayant le pouvoir de saper ce que l'épistémologue des sciences Imre Lakatos (1970) appelle le ‘noyau dur’ des programmes de recherche : « accepté par convention (...), le noyau dur (...), associé à une ‘heuristique positive’, définit les problèmes, les circonscrit d'hypothèses auxiliaires, prévoit les anomalies et les transforme victorieusement en exemples, le tout selon un plan préconçu. (...) C'est avant tout l'heuristique positive du programme, et non les anomalies, qui dicte le choix des problèmes. Ce n'est que lorsque la force motrice de l'heuristique positive s'affaiblit que l'on peut accorder plus d'attention aux anomalies". (Anderson, 2011).

La recherche-création a précisément le potentiel de traiter les anomalies. En reliant la pratique et les sciences de l'art aux sciences ‘dures’ naturelles et humaines ‘interprétatives‘, elle génère des connaissances sous forme de pratiques, sociales, matérielles et performatives. Le chercheur-créateur conduit un processus créatif, l'analyse de manière critique et invente de nouvelles formes pour sa transmission : en partie un artefact ou une performance artistique et en partie un écrit théorique en conversation avec la littérature scientifique7 , produisant des " textes performatifs critiques et affectifs " (Linstead 2018). La recherche-création fait de chacun d'entre nous des chercheurs et des créateurs en quête de solutions pour renverser l'insupportable (Citton, 2018). Elle vise à transformer la théorisation en ce que Goethe appelait la contemplation ou haute perception (Uebel, 2022). Elle questionne les ontologies qui fondent les approches quantitatives normatives à l'ancienne, se posant en "curateur" des économies contemporaines et en "soignant" de la raison oblitérée par rationalisation instrumentale galopante (Guillet de Monthoux, 2020).

Une telle ‘recherche-création curatoriale’ ne permet que d'esquisser des gestes. Mais des gestes qui sont les germes de la pensée en acte et de l'action réfléchie (Manning & Massumi, 2018 ; Citton, 2012, 2018), gestes qui seront ensuite disséminés et, espérons-le, reproduits, élargis et réinterprétés, passant de tête à tête, de corps à corps, via des relations affectives et intellectuelles, au cours d'événements et de rencontres. La recherche-création agit alors comme un discret activisme, subvertissant les fondements et initiant des gestes de pensée et d'action. " Fabricant ou créant du réel " (Guillet de Monthoux in Mairesse, 2021), indiquant de nouvelles directions sans prétendre reconstruire un noyau dur alternatif, la recherche-action pourrait fournir une "raison de croire aux petits miracles des surprises esthétiques quotidiennes" (Guillet de Monthoux, 2020:23). Puisse sa puissance ne pas rester désespérément à la marge, sans occuper toute la place ni jamais devenir la seule légitime.

La recherche-création curatoriale est une subversion. Elle implique fondamentalement le partage et passe par la création d'une ou plusieurs communautés d'intérêt autour des objets et des processus de l'art et de la recherche (Pluta et Losco-Lena, 2015). Elle peut concerner des sujets qui ne pourraient être abordés sans s'engager dans une forme de pratique créative. Elle implique un processus créatif, une composante esthétique expérimentale ou une œuvre artistique comme partie intégrante de la recherche (Sawchuck et Chapman, 2012).

Cependant, le développement de programmes de recherche-création en dehors des institutions artistiques, et en particulier dans le domaine de la recherche et de la pratique organisationnelles, se heurte à des résistances et obstacles majeurs. Premièrement, l'attachement des chercheurs et des praticiens de l'organisation à l'heuristique positive des sciences naturelles. Deuxièmement, la dépréciation encore active de l'art et de l'activité artistique en tant que jeu enfantin, divertissement, source d’innovation dans le meilleur des cas. Troisièmement, la résistance politique aux approches susceptibles de remettre en question et de déstabiliser le paradigme et les critères d'évaluation dominants. Quatrièmement, le paradigme disciplinaire de la recherche, qui empêche la recherche multi-, inter- ou transdisciplinaire. Cinquièmement, la réticence des artistes à interférer avec les acteurs du champ organisationnel, qu'ils identifient avec les producteurs de la non-durabilité et la pensée orientée profit.

Notre groupe de travail vise à saper ces barrières. Nous attendons des participants, transdisciplinaires, chercheurs-artistes-praticiens-scientifiques, qu’ils s'attaquent à la manière d'inclure la création dans la recherche : non seulement la création de concepts, la création d’œuvres, mais aussi les processus artistiques en tant que recherches.

En 2010, Anderson déclarait : "La construction intellectuelle des programmes de recherche et la quasi-autonomie qu’ils possèdent en matière d’incorporation sélective d’externalités peuvent permettre à l'intellect, au design et à l'art d'influer sur les conditions sociétales" 8 , dans le but de "jouer un rôle plus constructif et projectif en influençant les futures pratiques mondiales" 9 . Plus de dix ans après, ces mots restent d’actualité.

 

Nous appelons à des actions et propositions théoriques et pratiques de toutes sortes : expériences, récits, mises en scène, ateliers, activités en extérieur, discussions, expositions, ... traitant par exemple de la liste de thèmes suivante, qui n'est pas limitative :

- récits de recherche-création sous les formes les plus variées

- recherche artistique apportant des connaissances d'un autre type, ou ébranlant le fameux ‘noyau dur’ dominant - expériences duales art-science sur des questions d'organisation

- études empiriques mettant en évidence des anomalies dans la vie organisationnelle qui ne peuvent être traitées par l'heuristique positive classique des sciences de l'organisation

- critiques théoriques des programmes de recherche organisationnelle et de l'heuristique

- comparaisons avec les pionniers de l'Art nouveau, du Bauhaus, des Montagnes noires et d'autres approches, et défis lancés par ces derniers

- propositions ou exemples de programmes de recherche-création et d'actions à l'intersection des arts et des sciences de l'organisation

- ateliers exploratoires

Notre groupe de travail se veut non seulement un lieu de réflexion mais aussi une plateforme pour des actions futures. Un ouvrage issu de ces premières propositions est envisagé, comme d’autres formes de dissémination. 

 

Format de soumission :

- 750 mots, format Word.doc, en police de taille 12, Times Roman. - accompagnée de tout autre format complémentaire.

Les propositions sont attendues pour le 2 décembre 2023 et doivent être envoyées à aomo2024nancyping@gmailpong.com, avec copie à l'animateur du groupe, Philippe Mairesse, à philippe.mairesseping@icn-artempong.com.

 

Références

Anderson, S. (2011) "Rational Reconstructions and Architectural Knowledge," in Faschingeder, K., Jormakka, K., Korrek, N., Pfeifer O., and Zimmermann, G. (eds.) Architecture in the Age of Empire / Die Architektur der Neuen Weltordnung. 11th Internationales Bauhaus-Kolloquium, 2010.Weimar: Universitätsverlag, 163-175.

Chapman, O. & Sawchuk, K. (2012). Research-Creation: Intervention, Analysis and "Family Resemblances". Canadian Journal of Communication. 37. Doi 10.22230/cjc.2012v37n1a2489.

Chardel, P-A. (2022) Socio-philosophie des technologies numériques. Ethique, société, organisations. Paris : Presses des Mines.

Citton Y. (2012) Renverser l'insoutenable, Paris, Éditions du Seuil. Citton Y. (2018) Postscriptum sur les sociétés de recherche-création, in Manning & Massumi, Pensée en acte. Les presses du réel, pp. 97-123.

Debenedetti, S., Perret, V. & Schmidt, G. (2019). Les méthodes de recherche basées sur l’art. In Garreau, L., Roemeflaer, P. (eds) Méthodes de Recherches Qualtitatives Innovantes. Paris : Economica.

Guillet de Monthoux, P. (2020) Curating Capitalism. How art impacts business, management and economy. Sternberg Press, 350 p.

Lakatos, I. (1970). History of Science and Its Rational Reconstructions. PSA: Proceedings of the Biennial Meeting of the Philosophy of Science Association, 91-136. doi:10.1086/psaprocbienmeetp.1970.495757

Linstead, S. A. (2018). Feeling the Reel of the Real : Framing the Play of Critically Affective Organizational Research between Art and the Everyday. Organization Studies, vol. 39/2- 3, 319-344. doi.org/10.1177/0170840617717552

Manning, E. & Massumi, B. (2014), Thought in the Act. Passages in the Ecology of Experience. University of Minnesota Press.

Mairesse, P. (2021) Interview with Pierre Guillet de Monthoux, RIPCO, Vol.XXVII, issue 71.

Mairesse, P. (2019) L’approche esthétique des organisations et les méthodes de recherche « art-based » : une posture épistémologique renouvelée. In Moriceau J-L. and Soparnot, R. (eds), Recherche qualitative en sciences sociales, Ch.6, Explorer les Oeuvres, 101-129

Moriceau, J-L., Riccio, P-M., Berger-Douce, S., Sehier, C. (2023) « Acting to reduce unsustainability », Thematic session for the RIODD conference (Lille, 2023). Available at riodd2023.sciencesconf.org/data/pages/Agir_pour_linsoutenable.pdf

Pluta, I. & Losco-Lena, M. (2015). Pour une topographie de la recherche-création. Ligeia, 137-140, 39-46. doi.org/10.3917/lige.137.0039

Shrivastava, P. (2010). Pedagogy of passion for sustainability. Academy of Management Learning and Education, 9(3), 443–455. doi.org/10.5465/AMLE.2010.53791826 Uebel, M. (2022) Man, the prisoner of logic. In Myrogianis, S. and Repapis, C (eds.) Economics and Art Theories, p.179. Routledge.

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